De toutes les contrevérités qui sont partagées autant par les chrétiens hystériques que par les athées bornés, "Voltaire était athée" est l'une des plus agaçantes. Voici un tout petit exposé sur le sujet, histoire que je puisse le copier/collier au premier qui m'agacera.
Il est évidemment très difficile de citer Voltaire, étant donné que la majorité du temps, il est ironique, et que régulièrement il met ses mots dans la bouche d'autres personnages. Vous devrez donc me faire confiance, ou aller vérifier les citations en contexte.
"L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer
Que cette horloge existe et n'ait point d'horloger."
Voltaire se bat "contre l'infâme" : il se moque du clergé mais aussi des textes bibliques. En particulier, il critique avec une férocité rare l'ancien testament, les contradictions et les fables immorales qu'il contient.
Mais pour lui, la réaction d'un "sage" face aux sottises des croyants n'est pas l'athéisme.
Nos maîtres attribuent à Dieu leurs absurdités et leurs fureurs, donc Dieu est le contraire de ce qu'ils annoncent, donc Dieu est aussi sage et aussi bon qu'ils le disent fou et méchant. C'est ainsi que s'expliquent les sages. Mais si un fanatique les entend, il les dénonce à un magistrat sergent de prêtres ; et ce sergent les fait brûler à petit feu, croyant venger et imiter la majesté divine qu'il outrage.*
Anti-fanatisme oui, anti-clérical souvent, anti-chrétien si on veut. Athée ? Jamais.
La position réelle de Voltaire est difficile à cerner. Mais on peut souligner deux points essentiels:
Voltaire est déiste, convaincu que la raison mène à conclure que Dieu existe (opinion qui sent le catholicisme), et sa vision de Dieu est finalement très chrétienne.
Il est également persuadé de l’utilité sociale de la religion, arguant que les athées ont bien moins de raisons d'agir moralement que les croyants. Pour une défense de la moralité des athées, il faut chercher chez Diderot.
Bayle examine ensuite si l'idolâtrie est plus dangereuse que l'athéisme [...] Il est évident qu'il valait infiniment mieux pour les Grecs de craindre Cérès, Neptune et Jupiter, que de ne rien craindre du tout. Il est clair que la sainteté des serments est nécessaire, et qu'on doit se fier davantage à ceux qui pensent qu'un faux serment sera puni, qu'à ceux qui pensent qu'ils peuvent faire un faux serment avec impunité. Il est indubitable que, dans une ville policée, il est infiniment plus utile d'avoir une religion, même mauvaise, que de n'en avoir point du tout.
Il paraît donc que Bayle devrait plutôt examiner quel est le plus dangereux, du fanatisme ou de l'athéisme. Le fanatisme est certainement mille fois plus funeste ; car l'athéisme ne s'oppose pas aux crimes, mais le fanatisme les fait commettre.**
Toujours dans la logique de l’utilité sociale de la religion, Voltaire approuve les petits curés qui enseignent la morale au peuple (par opposition au clergé riche), même s'il voudrait bien qu'ils se rendent encore plus utiles en faisant des enfants.
Enfin, et comme beaucoup d'autres penseurs à son époque, il évoque les limites de la connaissance humaine pour se moquer de ceux qui prétendent les dépasser. Cela vaut autant pour les théologiens qui cherchent à justifier l'existence du mal ou à comprendre la nature de l'âme, que pour les pédants qui prétendent savoir comment un bébé se forme dans l'utérus (puisque personne ne le savait à l'époque).
Mettons à la fin de presque tous les chapitres de métaphysique les deux lettres des juges romains quand ils n'entendaient pas une cause : N.L., non liquet, cela n'est pas clair.***
On fait aussi de Voltaire le champion de la tolérance ; il plaide en effet pour que celle-ci existe entre les diverses "sectes" chrétiennes. Mais il faudrait veiller à ne pas déformer le langage. Tolérance ne veut plus dire grand chose de nos jours, ou plutôt veut dire tout et n'importe quoi.
Voltaire veut que les croyants cessent de s'étriper dans les rues, mais les étripages par lettres interposées, pas de souci ! C'est une tolérance agressive, qui n'a rien à voir avec l'espèce de béatitude castrée et muette que l'on érige aujourd'hui en modèle.
Et vis à vis de ses adversaires personnels, oh, Voltaire est tout sauf ce que nous appelons "tolérant". Qu'est-ce que j'aime entendre des gens rabâcher le "même si je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, je me battrai pour que vous puissiez le dire" (et autres variantes)... La nouvelle mode étant de préciser que la citation est apocryphe, mais tout en continuant à la vénérer comme quelque chose que Voltaire aurait pu dire.
En vérité, tous les coups, même les plus bas, sont bons pour disqualifier les gens que Voltaire a dans le nez. Celui qui contredit notre charmant philosophe sur le plan des idées court bien des risques, en guise de réponse, de se voir traiter de crétin pédéraste qui n'a pas d'amis et encore moins de talent littéraire. (Voltaire à l'époque de l'internet et des blogs, j'aimerais voir ça !)
Terminons sur une petite note ironique : Voltaire est l'auteur de la pièce Le fanatisme, ou Mahomet le Prophete. Pourrait-on encore se permettre un tel titre de nos jours ? C'est déjà un miracle que l’œuvre soit encore étudiée. Mais "ne vous en faites pas" dit-on, "il ne parlait pas vraiment de l'Islam, c'était un biais détourné pour condamner le christianisme". Ouf. Voltaire n'était pas islamophobe. Tout va bien au pays de la tolérance-religieuse-laïque-héritée-des-Lumières.
*Dictionnaire philosophique, article Athée, Athéisme partie II
** Dictionnaire philosophique, article Athée, Athéisme partie I
***Dictionnaire philosophique, article Bien (tout est)
samedi 26 juin 2010
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Ah, ça fait du bien de se sentir pas trop inculte pour une fois.
RépondreSupprimerJe savais qu'il n'était pas athée mais déiste et croyait en une sorte de "dieu horloger", mon prof nous l'a bien appris.
Mais quand je suis allé le voir à la fin de l'heure "Monsieur, Voltaire n'a jamais dit "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrais jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire", vous savez?
"Pff, oui ce n'est pas sur, mais ça exprime tout à fait son état d'esprit, donc aucune importance."
"...."
Et comme je n'avais pas d'arguments comme ceux que tu viens de me faire lire, je suis partie vaincue.
Haha, maintenant, je pourrais lui... Ah, non, c'est fini les cours avec lui.
Tant pis, je garde au moins ça dans un coin de ma tête :)
Oui, c'est assez marrant, je pense qu'on dit bien que Voltaire est déiste quand on parle de lui en classe.
RépondreSupprimerMais les profs n'insistent pas dessus, et les gens oublient. Moi-même, je ne sais pas si je m'en serais souvenue après le lycée, mais on me l'a rappelé à la fac.
En tout cas on se retrouve avec une flopée d'adultes qui répandent ce mythe...
Par contre si je peux me permettre, c'est Little, pas Lilttle... Tu te mélanges parce que l'abréviation c'est Lil...
RépondreSupprimerEt de toute manière je t'ai déjà dit de pas traîner sur les blogs de fachos.