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vendredi 23 juillet 2010

Fierté et souvenirs de jeunesse

La première fois que j'ai remarqué quelque chose de louche, c'était dans un magazine pour la jeunesse. Je suppose donc que j'avais entre 10 et 15 ans. Est-il besoin de préciser qu'à cette époque, tout ce que je savais de la politique, c'était le nom du président ? Et les noirs que je fréquentais, eh bien, ils étaient dans ma famille ou alors nous avions été amis.

Après ces précisions (qui ne dissuaderont personne de me traiter de raciste), voilà ma petite histoire.

Je lisais le courrier des lecteurs du magazine Jenesaisquoi quand je suis tombée sur le message d'une jeune demoiselle qui annonçait "je suis fière d'être noire".

Quel était le contexte ? Pourquoi était-elle fière ? Pourquoi le disait-elle ? Je ne sais plus. Je crois qu'elle faisait allusion à ses ancêtres, esclaves.

Depuis le fond de ma totale innocence, j'avais trouvé ça louche.

D'abord je trouvais cela idiot, parce que je n'étais pas fière d'être blanche. Je ne le suis toujours pas d'ailleurs, même si cela a pris une autre dimension. Je ne voyais pas pourquoi je l'aurais été. Ce n'était pas quelque chose que j'avais fait mais que j'étais, depuis ma naissance. Pareil pour les ancêtres. Et le raisonnement s'appliquait à toutes les couleurs de peau.

Ensuite, je trouvais cela étrange, parce que je comprenais bien que non seulement cette fille avait écrit cela, mais surtout, le magazine avait choisi de le publier.

Auraient-ils accepté une lettre d'une lectrice affirmant "je suis fière d'être blanche" ? Non. C'était totalement évident. Mais ils avaient sélectionné et affiché, sans aucun commentaire, ce "je suis fière d'être noire". Je me souviens de mon malaise et de mon agacement en constatant que ce qui était jugé mauvais chez les blancs était encouragé pour les noirs.

Dans la même tranche d'âge, alors que j'étais au collège, notre prof d'histoire géo nous avait passé une vidéo sur le commerce triangulaire. Un Nantais, descendant d'un armateur esclavagiste, montrait les plans des navires qu'il avait retrouvé. Et il précisait devant la caméra qu'il savait qu'il aurait du avoir honte de ce qu'avait fait son ancêtre... mais qu'en fait, il était fier de lui.

Qu'il n'en ait pas honte, ça me semblait tout à fait normal, puisque, encore une fois, nous ne sommes pas magiquement responsables des actes de nos ancêtres - ni en bien, ni en mal. Mais qu'il en soit fier ? Et fier de quoi ? Que son grand-père se soit enrichi en vendant des hommes et des femmes ? Je ne le comprenais pas, et je ne comprends toujours pas.

C'est pour cela que j'avais décidé de justifier la "fierté" de la noire. Je l'avais mise sur le compte de l'antiracisme, mais surtout bien sûr, sur le compte du racisme. Quelque chose du genre : "c'est totalement crétin, mais les noirs se sentent fier parce qu'il y a encore du racisme". Tant qu'il y aurait des gens pour se sentir fier de leurs ancêtres négriers, il y aurait des gens pour se sentir fiers de leurs ancêtres esclaves.

C'est le même raisonnement qui m'a fait justifier, quelques années plus tard, les termes de gay pride. "Il ne s'agit pas à proprement parler de fierté d'être gay, mais de fierté de l'être ouvertement malgré les difficultés" ou alors, plus simplement, "les gays revendiquent qu'ils sont fiers parce que certains veulent qu'ils aient honte".

Aujourd'hui, je pense qu'on est fier quand on a encore un peu honte, au fond.

Ou quand, effectivement, on est entouré de gens qui veulent nous convaincre d'avoir honte.

Ou quand on y est encouragé par trois cent associations subventionnées par l'état, bien sûr...

Je ne nie en rien l'importance de l'héritage, de la succession, appelez ça comme vous voulez. Bien sûr qu'on peut être fier des accomplissements de ses aïeuls, tout comme on peut être fier de ceux des plus jeunes que soi. On est fier de ceux dont on a hérité, on est fier de ceux qui héritent de nous.

Mais je conçois cette fierté de manière "active", à défaut d'un meilleur terme.

"Je suis fière de mon grand-père qui était un héros pendant la première guerre mondiale et j'essaie de m'inspirer de son courage", "Je suis fier de mon père qui est parti de rien et j'espère être digne de lui", "Je suis fière de ma grand-mère et je veux perpétuer sa mémoire chez mes enfants", tout cela me semble bien et bon.

Et si le père, la grand-mère et le grand-père étaient tous des malfrats ? Alors, être fier de ne pas être comme eux, je suppose. Ou alors trouver quelque chose chez eux qui mérite le respect : les gens sont rarement uniquement des saloperies, tout de même. (Même les braqueurs peuvent être de bons "grands frères", il paraît.)

Bien sûr que c'est important de faire partie d'une chaîne, comme on dit. Être fière d'être française (ou blanche, ou je ne sais quoi), pour moi, cela veut dire respecter les accomplissements de ceux qui sont venus avant, et essayer de s'en montrer digne, pour à son tour transmettre quelque chose aux générations qui suivent. C'est replacer l'individu dans son contexte pour valoriser les deux, si je puis dire.

Ça vaut pour l'héritage matériel, d'ailleurs. Pourquoi est-ce que les descendants d'un écrivain touchent de l'argent sur les ventes de ses livres ? Ont-ils fait quelque chose pour le mériter ? Sans doute pas. Mais l'écrivain a mérité de transmettre quelque chose.

Il en est de même pour la fierté. Ne pas être fier de son ancêtre héroïque, c'est un peu cracher sur sa tombe. Nous ne sommes pas des héros, nous ne méritons pas de nous attribuer ses actes, mais lui mérite notre souvenir.

Mais si cette fierté est une vague notion abstraite, qui permet de se parer des vertus d'autrui pour s'admirer dans un miroir avant de se vautrer dans la médiocrité, je passe.

3 commentaires:

  1. Voilà un billet à mon sens assez représentatif de votre blog, de ce qu’on pourrait appeler sa "ligne éditoriale", voulue ou non. En s’appuyant sur des cas concrets, la rate trotte-menue distille ses leçons avec une pédagogie terre à terre et de bon sens qui serait plus efficace auprès du plus grand nombre que les jargonneries hors sol distribuées à tous les étages de l’enseignement. La lecture de billets comme celui-ci devrait être inscrite aux programmes de l’E.N. Mais sans "explication de texte" par les préposés à la chose (surtout pas ! )
    Continuez…

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  2. Très belle démonstration " mathématique " ...
    J'apprécie !!

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  3. Le terme de fierté m'a toujours posé des problèmes, pour les raisons évoquées dans ce billet. Je préfère la notion "d'héritage". Nous sommes des héritiers, ayant la liberté de reconnaître ou pas l'héritage.

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